Robert Cottingham
Cameras, Typewriters & Components

« Il semblera peut-être cavalier et paradoxal d’envisager la peinture de Robert Cottingham en évoquant avant tout ce qui ne s’y voit jamais. Plus étrange encore d’extrapoler à partir de ce qui serait alors assimilé à une absence, afin de saisir les propriétés cardinales de son projet. Mais, après tout, en ce qu’elle est un art du cadrage, la peinture est bien une opération de limitation — d’omission, d’exclusion —, par laquelle une chose est rendue accessible au regard, restituée à son caractère unique, singularisée, parfois magnifiée. Aux dépens de tout le reste : proposée en dehors du cours ordinaire des choses sur le plan restreint du tableau. Et quand nous lui faisons face, nous pouvons dire que nous y sommes, tout à fait dévoués à la forme de son sujet. — Ce qui ne se voit jamais dans l’œuvre de Cottingham ne saurait bien sûr être caractérisé comme un manque, puisque, aussi bien, il s’agit d’un bannissement délibéré, en toute cohérence avec ses premières intuitions.

À une exception près (…) la figure humaine est absente de son œuvre. Exilée sans retour, dans un hors-champ qu’elle rend improbable, presque impensable. (…) ‘les choses que je choisis de peindre en disent bien plus à propos de l’homme que la peinture d’un homme.’ (…)
La peinture est en même temps l’instrument et la destination de la capture photographique, moins dans le but de sublimer ces détails que dans celui de les déterminer en tant qu’objets bientôt délestés de leur condition de fragments, et alors disposés à devenir des totalités légitimes en elles-mêmes. Dans cette perspective, l’art de Cottingham, à l’instar d’autres artistes photoréalistes, est moins à comprendre dans les termes d’une dépendance à l’égard de la photographie, que par la manière dont ils cherchent à en décevoir la qualité de reflet fidèle de la réalité. Le Pop art avait déjà cultivé une forme de désillusion à l’égard de la photographie. Il s’agissait pour Lichtenstein, Warhol, Rosenquist, parmi d’autres, de métamorphoser les images médiatiques (de la bande dessinée aux clichés des produits de consommation, en passant par le cliché journalistique) sous un prisme ironique qui commandait une transfiguration des images ready-made par une stricte maîtrise des moyens plastiques. Pour la génération d’artistes qui lui succède, il s’agit d’une part de sortir des intérieurs et de délaisser le modèle persistant de la nature morte, et d’autre part de contester à la photographie le privilège qu’elle avait acquis dans la représentation du monde réel. (…)


Rien de hasardeux dans le fait que, à la fin des années quatre-vingt-dix, Cottingham ait entrepris en parallèle deux séries que l’on peut comprendre moins en tant que suite logique de l’American Alphabet (…), que comme redistribution de la question de l’image et de la lettre. D’un côté, des peintures, aquarelles et dessins d’appareils photographiques ‘vintage’ des années 1950 ; de l’autre, des machines à écrire, datées de la même période, vues sous tous les angles, révélant parfois leur mécanisme interne, par exemple dans l’hypnotisant Underwood Side View (2009). Non plus les images et les lettres elles-mêmes dans leur déploiement spatial, mais les instruments qui les produisent, intermédiaires entre l’intention créatrice et sa concrétisation, moyens mécaniques qui en conditionnent les formes. »

Extraits du texte d’Alain Cueff «Des enseignes aux signes» paru dans le catalogue de l’exposition.