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Dans le flou

une autre vision de l’art de 1945 à nos jours

Peinture, sculpture, photographie, vidéo, cinéma… L’exposition “Dans le flou” fait une superbe mise au point sur l’emploi de l’indistinct dans les arts visuels, en se concentrant sur la période allant de 1945 à nos jours. Prenant sa source dans un chef-d’œuvre : Les Nymphéas de Claude Monet, un grand décor installé depuis 1927 au musée de l’Orangerie, où le flou règne sur les grandes compositions aquatiques peuplées de nénuphars. Un vrai choix esthétique du maître de l’impressionnisme. Cet intrigant brouillard a depuis inspiré de nombreux artistes au moyen de techniques diverses. Le parcours thématique de l’exposition se veut à la fois sensible, historique, poétique et politique.

Dans la première salle, en guise de prologue, dialoguent des œuvres très différentes : la plus ancienne, un paysage brumeux peint par William Turner vers 1845, jouxte Le Bassin aux nymphéas, harmonie rose de Claude Monet et un cube de condensation transparent de l’artiste conceptuel Hans Haacke, piégeant à la fois la buée et l’instabilité de notre environnement. Le bloc de marbre blanc d’Auguste Rodin prouve quant à lui que flou et sculpture ne sont pas antinomiques, comme on pourrait le croire. L’artiste floute les contours de ses marbres, faisant vibrer la matière.

Sur un grand panneau, Claudio Parmiggiani, figure incontournable de l’Arte Povera, a utilisé une technique baptisée “les incendies contrôlés Il met le feu volontairement à une pièce, l’éteint, laisse la suie se déposer sur les lieux, puis vient retirer les objets et le mobilier pour faire empreinte. Suie et fumée dessinent, comme en négatif, le fantôme d’une étagère couverte de livres, aux contours vaporeux. Le choix de la bibliothèque n’est pas anodin, l’artiste fait référence aux autodafés que l’on a connus dans l’histoire … derrière le flou se dissimule parfois un message politique.

Une petite toile, de Gerhard Richter est pourtant l’un des éléments forts de l’exposition. L’artiste l’a réalisée à partir d’une photo très médiatisée des attentats du 11 septembre 2001 à New York : la collision du premier avion sur la tour nord du World Trade Center. À première vue, il s’agit d’un tableau très abstrait, presque illisible. C’est le fait de connaître l’image source qui permet de la décrypter, mais ce que l’on voit, c’est le geste du peintre qui vient, à grands coups de pinceau, placer de la peinture sur l’image des deux tours jumelles, qui est elle-même peinte. La superposition de couches, comme souvent chez l’artiste allemand, crée “un flou de surface“. Il emploie à dessein des matières granuleuses qui bouchent la vue et forcent à mieux regarder, transcrivant aussi en peinture le brouillard des écrans de télévision d’un monde saturé d’images. Richter dit que sa relation à la réalité a toujours eu à voir avec le flou qu’il relie à l’insécurité, l’incomplétude et l’inconsistance. Il est l’artiste le plus représenté dans l’exposition avec des toiles évoquant l’instabilité du monde.

Une grande photo de l’artiste, architecte et réalisateur chilien Alfredo Jaar, prise dans le cadre d’un long projet qu’il a consacré au génocide des Tutsis au Rwanda en 1994 montre une jeune fille, témoin du massacre de son père et de sa mère à coups de machette. Alfredo Jaar avait pris rendez-vous avec elle, mais au moment de répondre à ses questions, l’adolescente, incapable de prononcer un mot, est repartie en lui tournant le dos. Dans un mouvement réflexe, il a alors saisi son appareil et pris ce cliché sans le cadrer, sans faire le point. “Cette image floue, dit-il, représente mon incapacité à raconter l’expérience de cette femme ou l’expérience du Rwanda – l’impossibilité.”

du 30 avril au 18 août 2025

MUSEE DE L’ORANGERIE

Jardin des Tuileries 75001 Paris