Nils-Udo

Nils-Udo, pouvez-vous nous décrire les grandes lignes de cette nouvelle installation, Black Bamboo , réalisée pour la Fondation Groupe EDF ?

Nils-Udo : L’espace d’exposition et toute l’architecture du lieu seront complètement plongés dans le noir. Les fenêtres seront occultées, le sol, le plafond, les murs, tout ce qui est habituellement visible sera en noir. Sur le sol de la salle du rez-de-chaussée, au milieu, je placerai un petit rond d’un diamètre approximativement de deux mètres et demi fait de gravier de marbre blanc. Dessus, je poserai sept grands œufs en marbre noir, comme une couvée. Puis, autour de celle-ci, je « planterai », du sol jusqu’au plafond de la mezzanine, une bonne centaine de tiges de bambous que j’ai sélectionnées et qui proviennent de la bambouseraie d`Anduze dans le Gard. Tout sera donc dans le noir, sauf la « couvée » éclairée par un spot depuis les parties hautes de la salle. Et j’ai donc appelé cette pièce nouvelle « Black Bamboo ».

Depuis les années 1970, vous avez toujours réalisé vos installations avec la nature en extérieur, dans la nature ou parfois dans un contexte urbain ouvert. Est-ce la première fois que vous travaillez dans un espace clos, intérieur ?

Nils-Udo : Cela m’arrive rarement, mais ce n’est pas la première fois. Il y a une trentaine d’années, en 1987, j’avais réalisé une grande installation dans le hall d’un très grand shopping center, le Tamagawa Takashimaya Shopping Center à Tokyo. J’avais, mais c’est vraiment un hasard, planté cent grands bambous dans des pots et des vivan-ts. C’était une forêt de bambous ! Devant j’avais fait installer un champ de fleurs rouges, puis j’avais attaché des fleurs de la même variété sur les tiges de bambous, d’abord très bas puis toujours plus haut jusqu’à ce que les fleurs disparaissent dans cette forêt. À Paris, les bambous ne seront pas plantés, il y aura seulement les cannes coupées qui seront fixées au sol et au plafond. Il n’y a pas ici de plantation.

Cette installation Black Bambou pour la Fondation groupe EDF évoque celle, monumentale, que vous avez réalisée l’année dernière pour la Fondation Carmignac, en extérieur, sur l’île de Porquerolles, La Couvée. Le thème du nid vous intéresse depuis longtemps ?

Nils-Udo : Oui, la thématique est la même. Sinon, que là, je suis à l’intérieur et qu’il n’y a rien de vivant. Les bambous ont été coupés. Le marbre noir des œufs vient d’Espagne et le gravier de marbre blanc d’Italie, de Carrare. Je travaille actuellement beaucoup sur le thème de la couvée. Et le nid a toujours été présent et me préoccupe depuis des décennies. J’ai réalisé mon premier nid en 1978, dans le nord de l’Allemagne, avec des branches de bouleaux, de la terre, des herbes et des pierres. Depuis ce premier nid, j’en ai réalisé d’autres, au Japon, ou dans le Sud de la France, ou ailleurs dans le monde. Pour la Fondation groupe EDF, ce thème du nid est revenu. J’ai ajouté ces œufs qui viennent donc au milieu de l’installation, qui n’est pas véritablement un nid mais qui appartient à cette même thématique.

Comment allez-vous travailler, dans la pénombre de l’exposition, la lumière qui pointera sur les œufs ?

Nils-Udo : Il y aura simplement un, deux ou trois ou quatre spots au maximum fixés au plafond, juste audessus de la couvée. Ce sera la seule source de lumière, qui filtrera de cette « forêt » de bambous. Par ailleurs, parce que les œufs en marbre noir de la petite couvée seront posés sur un lit de gravier de marbre blanc et directement éclairés, ils seront parfaitement visibles.

Y a-t-il une raison particulière au choix du nombre 7 ?

Nils-Udo : Le nombre 7 me convenait par rapport à l’espace disponible et par rapport à l’idée même du projet, cette sorte de forêt de bambous au centre de laquelle apparaît cette couvée.

Et pour le bambou ?

Nils-Udo : J’aurais pu choisir des branches de frênes ou d’épicéas, mais je pense que le bambou se prête mieux à la réalisation de cette pièce et de son thème.

La nature est au cœur de votre travail artistique depuis vos débuts à la fin des années 1950. Très jeune, dans votre enfance en Allemagne, vous avez été en contact profond avec celle-ci. Cela a-t-il eu une influence sur vos choix de motifs ?

Nils-Udo : J’ai eu la chance de passer les principales années de mon enfance dans un château de BasseFranconie, le Schloss Klingenberg, isolé à la campagne. Nous étions toute l’année dehors, au contact des arbres, des plantes sauvages, des baies, des oiseaux, dans les vergers, dans les prés, dans la forêt ou la vallée, à se promener ou à se baigner dans la rivière, dans le Main. Oui, ces années m’ont marqué pour la vie. Aujourd’hui, je vis en Haute-Bavière, dans la région des lacs de Chiemsee et Simsee, dans un petit village où j’ai mon atelier, et je me promène toujours autant dans la forêt ou je nage dans le lac.

Comment envisagez-vous l’environnement naturel où viennent se placer vos installations réalisées dans et avec la nature ?

Nils-Udo : Quand j’arrive dans la nature, c’est toujours sans idée préconçue. Mon travail consiste toujours à réagir à ce qu’offre la nature, puis le travail thématise les éléments et les phénomènes naturels, et tout ce qui ne fait pas partie de l’intervention est écarté.Je ne suis pas un sculpteur.Je ne meuble pas la nature avec un objet préfabriqué. Je thématise la nature et l´œuvre d´art c´est la nature elle même ! Mon travail consiste uniquement en cela, rien d’autre. Je trouve des prétextes me permettant d’ouvrir les yeux et les cœurs à la réalité de la nature. Je suis un réaliste, avec tout ce que je fais.

Comment avez-vous appréhendé la contrainte du volume architectural de la Fondation groupe EDF ?

Nils-Udo : Là aussi, il s’agit d’une réaction par rapport à un espace disponible. Cette fois je mets en scène un espace intérieur, comme je mets en scène la nature. C’est vraiment l’axe de mon travail.

Vous avez commencé par être peintre et, en 1960, vous décidez de venir à Paris pour apprendre la peinture. Après ce séjour parisien d’une dizaine d’années, vous retournez en Allemagne, vous cessez brutalement la peinture et commencez la réalisation de ces pièces dans la nature qui ont fait de vous l’un des pionniers de « l’art dans la nature », voire d’un « art écologique »…

Nils-Udo : Oui, tout à fait, je viens de la peinture. Mes années parisiennes ont été presque uniquement des années de peinture. J`allais jusqu`à l`abstrait, mais finalement la nature a toujours été mon thème. Lorsque je suis rentré en Bavière à la fin des années 1960, j’ai poursuivi quelque temps la peinture mais, très vite, je me suis trouvé dans une impasse. Je ne savais plus comment continuer. Puis, ce fut radical : je ne voulais plus peindre un arbre, je voulais le planter. C’est ainsi que j’ai entrepris de louer des terres chez des paysans autour de mon village. J’ai tout de suite commencé à réaliser mes propres plantations. En 1972, j’ai conçu ma première installation dans la nature, dans un ravin. Et, depuis, je travaille dans et avec la nature. Mais je veux dire aussi que je suis un autodidacte dans tout ce que je réalise par mon art.

Depuis quelques années, vous êtes revenu à la peinture et vous passez de nombreuses heures dans votre atelier de Riedering, en Bavière à peindre…

Nils-Udo : Depuis environ huit ans, j’ai repris la peinture. Et à chaque minute de libre, je peins parce que je dois rattraper les quelques décennies durant lesquelles j’avais abandonné le tableau. Je suis extrêmement inspiré, je m’y absorbe totalement, parce que la nature est un thème à plus jamais inéxpuisable !

Lorsque l’on regarde vos tableaux, on est effectivement frappé par la subtilité et les luminosités de la couleur, par les accords chromatiques qui structurent la surface de la toile. Pouvez-vous préciser quelles ont été les influences picturales dans votre travail ?

Nils-Udo : Il n’y a pas vraiment d’influence. Mais, vous savez, les « héros » de ma jeunesse étaient Van Gogh et Gauguin, deux artistes qui ont travaillé avec la nature, qui l’ont aussi thématisée. Enfin, non, je puise dans toute l’histoire de la peinture.

Est-ce qu’aujourd’hui la peinture est devenue pour vous le médium principal ?

Nils-Udo : Non, non. Je pratique les deux disciplines simultanément ainsi que la photographie. Je travaille dans la nature et je travaille dans l’atelier. Voyez-vous lorsque je suis dans la nature et que je ressens une expérience profonde, forte, le résultat sera ou une installation dans cette nature ou la réalisation d’un tableau dans mon atelier. La thématique et le point de départ sont les mêmes. Nous vivons actuellement une destruction préoccupante et apparemment inexorable de la nature et de ses écosystèmes.

Vous avez travaillé dans des environnements naturels aux quatre coins de la planète, comment percevez-vous ce phénomène qui touche les forêts, les mers, les océans, les rivières, les glaces, les végétaux… ?

Nils-Udo : Cette dégradation des milieux naturels est une catastrophe dans le monde entier. Je le constate depuis des années partout où je vais, partout où je suis. Ce sont des phénomènes semblables que j’observe. Par exemple, en Allemagne, des millions d’arbres sont morts durant cet été 2019 à cause d’une très forte sécheresse. Tous les arbres en Allemagne du Nord et de l’Est sont extrêmement abîmés, affaiblis. L’État a décidé de replanter des millions d’arbres face à cette situation. Voilà, c’est seulement un exemple de la catastrophe due aux phénomènes extrêmes du réchauffement climatique, qui touche la nature un peu partout dans le monde. Un autre point concerne notre agriculture moderne qui exploite et appauvrie la nature comme jamais avant dans l`histoire.

Revenons à l’installation Black Bambou . Elle sera donc plongée dans le noir, mais sera-t-elle aussi entourée de silence ?

Nils-Udo : C’est vrai, mais il y a toujours beaucoup de monde dans ce lieu de la Fondation groupe EDF. J’aimerais quand même que tout reste dans le calme. Le noir, la pénombre invitent au silence. Pour ce qui concerne les visiteurs, ils pourront donc entrer dans la salle du rez-de-chaussée, circuler autour du bas de l’installation. Mais ils auront aussi la possibilité de monter au premier étage, sur la mezzanine, et regarder du haut vers la couvée, vers l’intérieur du nid.