Mary Clerté

Deuxième exposition de Mary Clerté à la Galerie Pixi. Dans « Les Voies sauvages », il y a trois ans, elle évoquait la maternité et la manière qu’elle avait eu de l’appréhender. Cette fois, avec « Canine », c’est une autre forme de féminité qu’elle explore. Une féminité plus accomplie peut-être mais toujours complexe, car pour entrer dans le monde de Mary il y a souvent plusieurs portes à ouvrir qui, l’une après l’autre, nous laissent aller bien au-delà des apparences.

Mary, parlons d’abord de ton univers : foisonnant, unique, il révèle de multiples influences et semble tout entier dédié à la création ?

Je dessine depuis toujours, baignée dans l’univers artistique de mon père notamment, le peintre Jean Clerté. Mais plus jeune je regardais aussi beaucoup de clips et je voulais absolument apprendre à en réaliser. Ma mère, californienne, m’a aussi toujours beaucoup inspirée et je pense que je lui dois ce goût presque acidulé pour les univers très colorés, les couleurs vives, mais aussi pour ces femmes américaines des années 70, avec leurs manteaux de fourrure, leurs brushings ou leurs grandes lunettes noires, cette esthétique très particulière du cinéma d’Hitchcock, des premiers films de Roman Polanski… Mais j’ai aussi été élevée avec les comédies musicales, « Un américain à Paris » ou les films de Jacques Demy et mon univers, je crois, relève de tout cela.

A la fin de l’adolescence tu fais un bref passage aux Beaux-Arts de Paris ?

Oui mais je leur ai vite préféré une boite de prod dans laquelle j’ai fait tous les métiers et très vite j’ai réalisé mes premiers films. Depuis j’en ai réalisé beaucoup, notamment pour des Maisons de luxe, mais sans jamais abandonner l’illustration, J’aime m’exprimer sur des mediums et des supports très différents, illustration, films, collaborations avec des marques ou expositions.

Dans ta première exposition à la Galerie Pixi tu évoquais la maternité d’une manière très particulière ?

“Les voies sauvages” évoquaient celles par lesquelles on accouche. La question du corps féminin était vraiment au centre de l’exposition. J’avais commencé cette série peu après avoir eu mon premier enfant. Enceinte je m’interrogeais souvent sur cette sensation de corps étranger à l’intérieur de soi, c’est un moment où notre corps ne nous appartient plus vraiment. Je faisais très souvent un rêve dans lequel j’accouchais d’une brebis ou d’un lapin …

Après cette première exposition tu as continué d’explorer la féminité avec une série de portraits intitulée ” Housewives ” ?

C’était un peu mon point de vue sur la vie domestique, avec une note d’humour bien sûr ! Mais je suis fascinée par ces femmes parfaites en apparence et qui cachent une noirceur qu’on ne soupçonne pas. C’est pour cela que j’ai choisi de teinter leur visage de rouge.

Il y a toujours un côté plus sombre dans ton travail, derrière une imagerie parfois naïve ou au contraire très glamour ?

C’est humain, on révèle tous quelque chose derrière notre apparence, une face cachée, notre côté animal
certainement !

Ta manière d’évoquer les choses, à la fois féministe et féminine, est assez singulière. Ton travail se découvre en deux temps : le dessin d’abord, la profusion de couleurs, puis un discours que l’on ne devinait pas au premier abord ?

J’aime bien les contrastes et je dessine de manière très instinctive, comme un besoin physique, vital. Le discours vient ensuite. Quand j’ai terminé et que j’ai toute la série devant les yeux, je réalise vraiment ce que je voulais exprimer. C’est mon langage.

Aujourd’hui, ce sont des portraits de femmes encore différents que tu nous donnes à voir ?

Dans cette nouvelle série, les femmes nous affrontent du regard, elles ne sont pas du tout victimes, elles assument leur côté sauvage. C’est plus pop visuellement, avec des couleurs franches que je trouve glamour justement. Les femmes qui m’entourent, celles que je croise ou que j’admire,sont vraiment pour moi une grande source d’inspiration, j’aime explorer derrière une image, parfois lisse, les petites choses qui font une personne, fouiner derrière les apparences pour découvrir autre chose. Depuis que je suis maman, je m’interroge sur les modèles que j’ai eu et celui que je veux donner ….

Ces femmes ont toutes une tâche au coin de la bouche, est-ce du sang, du rouge à lèvres ?

J’aime bien qu’on se pose la question. Sans ou avec du rouge à lèvre, il y a un débordement. On peut imaginer que ces femmes ont mordu quelque chose ou qu’elles ont été mordues, mais c’est aussi une référence à l’animal, au sauvage.

D’ailleurs tu as choisi intituler cette exposition « Canine » ?

Pour plusieurs raisons. Il y a une citation de Pierre Nozière que j’aime beaucoup : « Mais d’homme à chien on peut tout de même s’entendre, parce que les chiens ont quelques idées humaines et les hommes quelques idées canines» … Mais la canine est aussi notre dent la plus pointue !

Galerie Pixi – Marie Victoire Poliakoff