Marie-Victoire Poliakoff

Pénétrer l’univers de Marie-Victoire Poliakoff c’est aussi rencontrer celui de sa famille, de son clan tant aimé, où l’amour est une valeur absolue. Son grand-père Serge, son père Alexis, sa mère Helen, ses frères, sa fille Sacha …

C’est aussi parler d’une histoire, d’un siècle d’histoire, à travers la Russie, l’Europe … et les rues de Saint-Germain des prés, souvent teintées ici de couleurs slaves.

Il faut remonter un fil qu’elle déroule doucement, en parlant peu d’elle-même et surtout des siens.

On revient souvent vers l’enfance, heureuse, insouciante, « Je ne passe pas un jour sans penser à mes grands-parents », lorsqu’ils vivaient tous ensemble dans le même immeuble de la rue de Seine, que Marie-Victoire visite encore parfois. « C’était la veille Russie ! Mon grand-père avait d’abord prêté son atelier à mes parents, au fond de l’appartement pour en faire leur chambre, avant que nous puissions avoir le nôtre, dans le même immeuble. »

Table ouverte, maison accueillante, amis anti conformistes, « J’ai le souvenir d’une petite fille gaie comme un pinson dans ce milieu artistique. J’étais une enfant, mais les adultes me faisaient de la place, j’étais considérée. »

Un pas de côté dans le passé, avec la fuite de Serge Poliakoff de Russie en 1918, laissant toute sa famille derrière lui. « Quand il a quitté la Russie et qu’il est arrivé en France en 23, après un périple de 5 ans, il vivait en jouant de la guitare dans les cabarets russes. C’est d’ailleurs là qu’il a connu ma grand-mère, qui elle, venait d’Angleterre.’

Devenu parents d’Alexis, la famille loge dans de petits hôtels ou des pensions de familles, entre la rue de Seine, la rue du Vieux Colombier et le Boulevard Saint-Germain. « Toute sa vie a eu comme épicentre Saint-Germain des prés. C’était le quartier de ses rêves, il ne voulait habiter qu’ici. ».

Serge continue de jouer de la guitare, mais il décide de reprendre des cours de peinture dans les Académies, notamment celle de la Grande Chaumière, et sait tout de suite qu’il ne veut plus faire que cela, peindre. Pourtant il continuera encore quelques années à jouer, le soir, pour pouvoir nourrir sa famille.

«Ca a commencé à marcher pour lui au milieu des années 50, mais ce n’était pas la grande vie ! D’ailleurs, j’ai toujours entendu mon grand-père dire qu’on pouvait tout perdre du jour au lendemain. »

« Mon père était très proche lui aussi de son père, qui le poussait à développer ses dons artistiques. Pour moi ce ne fut pas très différent, mais je voulais créer, plus tard, une Maison de couture, j’en parlais à tout le monde, je dessinais beaucoup, j’avais même créé mon logo !».

Marie-Victoire suit ses parents et ses grands-parents partout, en voyage, dans les expos, le clan soudé, toujours. Son premier choc artistique, elle l’a dans la galerie de Monie Calatchi, Boulevard Saint-Germain, devant une boite d’allumettes géante de Raymond Hains. Des années après, en la revoyant, elle comprendra pourquoi elle a voulu faire ce métier, devenir galeriste.

Seule ombre au tableau de cette enfance heureuse, l’école : « J’y suis entrée à 7 ans et tout de suite j’ai eu l’impression qu’on m’enfermait. Ca a un été un vrai choc. Alors je m’échappais en rêvant, j’étais toujours dans la lune. D’ailleurs je m’échappe toujours de la même manière aujourd’hui quand je suis dans des lieux qui me déplaisent. »

Sans doute encore un peu attachée à la douceur de l’enfance, elle commence, devenue adulte, par créer une boutique de jouets anciens qu’elle va chiner dans l’Europe entière, passionnée par les arts populaires et le travail des artisans d’art.

Un jour, elle imagine pourtant une exposition qui décidera du reste de sa carrière : elle demande aux artistes qu’elle connaît «S’ils veulent bien jouer avec elle ». Ben, Martine Aballéa, Patrick Chauveau, Paul Cox, Jean Clerté, Roland Roure, Jean-Luc Poivret ou Marco de Gueltzl répondent présents. Ils créent des pièces spécialement pour l’exposition et en retour Marie-Victoire crée une figurine en plomb à leur effigie.

Elle continue avec d’autres volets sur le sujet et au bout de deux ans réalise que ce qui la passionne vraiment, en fait, ce sont les artistes. Elle laisse alors tomber les jouets pour commencer son activité de galeriste. Toujours rue de Seine.

Ses choix artistiques se font « comme en amitié, par affinités. J’aime tellement de choses différentes. Mais tous les artistes que je représente ont une certaine poésie, dans leur travail surtout, mais dans la vie aussi, et j’aime les poètes.  La poésie c’est tout ce qui reste. Et c’est ce qu’il y a de plus difficile à faire. Quand je fais des expositions collectives, c’est vrai que l’alchimie entre les œuvres naît toujours, donc il y a forcément quelque chose qui les lie, tous. »

Marc Boisseul
Bernard Cousinier

« Un jour quelqu’un m’a dit que je choisissais des artistes dont le travail pouvait côtoyer celui de mon grand-père, sans lequel, c’est vrai, je ne pourrais pas vivre. »

Sa galerie, elle, reste volontairement un peu confidentielle. On sonne pour y entrer. Il y a la galerie proprement dite, mais aussi, au fond, ce qu’elle a appelé Le Boudoir, un lieu minuscule, un peu comme une tente nomade ou une roulotte tzigane, où tous ses artistes se côtoient, où tout le petit monde onirique de Marie-Victoire se mélange, une sorte de cabane chic où n’entrent que les initiés.

« J’aime l’idée d’un lieu un peu confidentiel, mais j’aime aussi beaucoup les gens, alors j’essaye de lier les deux. D’ailleurs dans cet endroit j’ai rencontré beaucoup de gens qui ont compté dans ma vie. Je n’en changerai pour rien au monde. Ma vie est à Saint-Germain des prés, j’y ai tout vécu ». Marie-Victoire aime viscéralement ce quartier : « Pour moi il est toujours resté le même, c’est mon histoire. Je ne vois même pas quand une nouvelle boutique ouvre. »

Aujourd’hui Sacha, la fille de Marie-Victoire a terminé les Beaux-Arts … Une histoire d’amour, d’artistes et d’âme slave qui se transmet de génération en génération ….

GALERIE PIXI – MARIE-VICTOIRE POLIAKOFF