Julien Drach

L’atelier germanopratin de Julien Drach est un vrai décor, celui d’un chineur passionné, qui mélange les époques et les univers pour créer le sien, unique. Des objets antiques, posés ici et là, côtoient les créations de Tommaso Barbi, de Barovier & Toso ou encore d’Ingo Maurer, et sur les murs, ses photographies, immenses, profondes, presque majestueuses, finissent de conquérir les visiteurs.

Dans une première vie Julien était comédien et réalisait des courts-métrages. Déjà, il photographiait beaucoup mais c’est il y a cinq ans seulement, à l’invitation de la Maison Européenne de la Photographie, qu’il a commencé à montrer son travail. Un travail qui occupe depuis ses jours et ses nuits, sa vie parisienne comme ses voyages.

Julien, ce n’est pas un atelier dans lequel vous travaillez, mais plutôt un décor de collectionneur !

Je chine beaucoup depuis toujours, je collectionne, et je n’ai rien contre le côté décoratif des œuvres, bien au contraire, puisqu’elles sont là pour que nous vivions avec. D’ailleurs j’accepte toujours d’aller présenter mes photographies, même les très grands formats, chez les collectionneurs, pour qu’ils puissent voir comment elles fonctionneront in situ. Il y a des correspondances entre mon travail et celui du décor, je collabore d’ailleurs souvent avec des décorateurs ou des galeries d’antiquités et de design. Pierre Passebon a, par exemple, montré quelques-unes de mes photos pour le PAD Monaco en mai dernier. En fait, j’ai presque plus d’affinités avec le monde de la décoration qu’avec celui des galeries. Et j’aime aussi que cet atelier soit un lieu d’échange et de rencontres, pour cela il faut que le décor s’y prête, que les gens y retrouvent mon univers. La tête en pierre par exemple, a été offerte à mon père quand il était étudiant aux Beaux-Arts. C’était en 1948, il passait tous les jours devant la vitrine d’un antiquaire de la rue des Canettes et fumait une cigarette en contemplant cette tête qu’il adorait. Au bout d’un an, la propriétaire lui a demandé d’entrer, ce qu’il a fait timidement, presque en s’excusant. Elle lui a dit “Jeune homme, tous les jours vous regardez cette tête que vous aimez … “, mon père a répondu, “Oui je l’aime beaucoup …”, et elle lui a dit “Elle est pour vous !”,  préférant la lui offrir que de la vendre à quelqu’un d’autre. C’est une belle histoire !

Vous montrez vos photographies depuis seulement quelques années, pourtant vous y travaillez depuis déjà longtemps ?

Oui j’ai pris confiance dans mes images au retour d’un voyage à Naples grâce au regard bienveillant de mon ami le photographe Benjamin Didier, qui m’a poussé à montrer mon travail à tous.

Vous utilisez souvent de très grands formats ?

Ici vous voyez des formats de 100 x 150 cm mais j’ai déjà réalisé des commandes de 200 x 150. Je travaille vraiment sur des formats très différents. C’est souvent le sujet qui définit le format, mais aussi la manière dont je vais travailler, avec du Polaroïd, du numérique ou de l’argentique. Et ce sont souvent les défauts qui m’intéressent, pas la perfection, je ne suis pas un technicien de l’image.

Julien Drach, Rome

Dans IN-VISIBLE, votre série sur les murs, par exemple, la photographie devient ainsi presque picturale.

Je travaille en quelque sorte de l’infiniment petit à l’infiniment grand, mais j’avoue que j’aime beaucoup les grands formats. J’aime que l’on soit troublé par la « double vision » qu’ils procurent, que l’on soit en quelque sorte happé par l’abstraction. Je suis photographe dans la mesure où j’utilise un appareil photo, mais ce sont la peinture et le cinéma qui m’inspirent avant tout. Je vous l’ai dit, je deviens technicien par la force des choses, pour obtenir ce que je veux. Je suis moi aussi parfois le premier étonné du résultat. J’ai commencé IN-VISIBLE, cette série de photographies sur les murs à New York il y a quelques années, je l’ai continuée à Paris, à Berlin, à Naples, les derniers datent d’une résidence d’artiste à la Villa Médicis à l’automne dernier. J’essaye toujours de restituer l’énergie de la ville, quelle qu’elle soit.

L’Italie semble beaucoup vous inspirer, vous avez aussi beaucoup travaillé à Naples ?

Je suis fou de cette ville ! Son atmosphère correspond bien à mon travail. Le Musée d’Archéologie par exemple me fascine un peu plus à chacune de mes visites. La Méditerranée en général m’inspire, et de plus en plus. J’ai un lien très puissant avec elle. L’aventure de ma résidence à la Villa Médicis a, elle aussi, été vraiment importante. Quand on arrive dans ce lieu, on ressent une vraie pression tant il est fascinant, mais cela m’a en fait donné des ailes, une énergie folle, la Villa est tellement inspirante ! J’y ai travaillé comme un fou, sur ma série de Murs, mais aussi sur la réserve des Statues.

Julien Drach, Villa Médicis
Julien Drach, Villa Médicis

Mais tous ces lieux sont par nature sublimes, c’est une toute autre histoire avec votre travail sur les chantiers, intitulé Construction. Pourtant on y découvre à travers votre objectif une immense poésie.

Là aussi, tous ces éléments, ces murs, ces sols inachevés, ces objets de travail posés ici et là peuvent prendre une dimension poétique insoupçonnable si on les regarde différemment. Pour moi ils deviennent les éléments d’un décor inachevé et prennent alors une toute autre dimension.

Julien Drach, Construction

Le portrait est une part moins connue de votre travail ?

J’essaye de mettre les gens en valeur, mais ici encore c’est l’humain, c’est l’âme qui m’intéressent. D’une manière générale je travaille sur l’éphémère, même si la photographie est par essence éphémère, mais souvent les lieux ou les sujets que je photographie ne perdureront pas dans le temps et c’est cela qui m’inspire.

Comme pour la série des Fleurs ?

Elle date de l’an dernier. J’en ai présenté une partie chez Galignani, à l’invitation de Danielle Cillien Sabatier. Jamais je n’aurais pensé faire cela. Je sortais alors d’une longue période sur des chantiers, et puis tant de grands avaient travaillé sur ce sujet, Irving Penn, Cy Twombly, Robert Mapplethorpe, Sarah Moon … Mais je refuse de ne pas me renouveler parce que d’autres ont travaillé sur le sujet. Comme le disait Cocteau, « Tout ça ce sont les branches d’un même arbre » ! Ce qui importe après tout, c’est la vision de l’artiste et non pas le sujet.

JULIEN DRACH