José Lévy

Suivre José Lévy relève du jeu de piste à travers la mode, le design, les arts plastiques et les arts décoratifs. Hermès, la Manufacture de Sèvres ou celle de Saint-Louis, la Maison Lelièvre, Serax, Lexon ou même Monoprix … Du Musée Guimet au Musée de la Chasse ou au Palais de Tokyo, il voyage d’un projet à l’autre sans que l’on devine jamais où sera le prochain rendez-vous. Mais si l’artiste est curieux de tout c’est aussi pour nous surprendre. Un peu comme un jeu donc, dont il serait le maître à jouer et nous les spectateurs émerveillés. Aujourd’hui c’est dans un jardin que nous l’avons retrouvé, l’un de ses préférés, pour parler avec lui de ses nouvelles collections de mobilier, mais surtout pour découvrir un projet magnifique présenté au PAD 2022 en collaboration avec Leblon-Delienne.

José, on vous retrouve pour un évènement que nous attendons tous avec impatience, la nouvelle édition du PAD Paris qui débute le 6 avril ?

J.L : Deux ans et demi que Leblon Delienne et moi rongeons notre frein en attendant de présenter ce projet autour des Kokeshi !

Dans ce projet on retrouve le Japon, l’intime, le jeu, des thèmes récurrents dans votre travail …

J.L : Je collectionne ces petites poupées japonaises depuis longtemps, notamment celles des années 30 à 60,70. Ce qui m’intéresse dans les kokeshi, ces objets emblématiques de la culture populaire japonaise, c’est qu’il sont à la fois une chose et son contraire : charmants mais aussi dérangeants, de simples quilles sans bras ni jambes qu’on l’offre aux enfants, et il y a aussi toute une littérature autour, on dit qu’autrefois on les offrait aux femmes qui faisaient des fausses couches …. Pour ce projet je les ai transformées en totems surdimensionnés, entre 1,50 et trois mètres, comme des ombres noires laquées de noir ou gainées de cuir en utilisant les savoir-faire de Leblon-Dedienne. Nous en avons créé aussi de plus petites, en bois brûlé ou en laque noire …

J.L : En complément à ces statues physiques, j’ai aussi créé des Kokeshis NFT (De l’anglais Non Fungible Token, un NFT est « une unité numérique non fongible, associée à un objet immatériel dont elle garantit l’authenticité et la traçabilité grâce à la technologie blockchain), j’en ai dessiné 46 et nous allons en montrer cinq en hologrammes au PAD (que l’on peut également voir ici : https://foundation.app/collection/kokeshi

Vous utilisez les savoir-faire ancestraux aussi bien que les nouvelles technologies ?

J.L : Pour moi c’est la même chose, la démarche est la même, j’utilise juste les techniques les mieux adaptées à l’objectif que je me suis fixé.

En ce début d’année ce sont aussi deux nouvelles Collections de mobilier que nous avons découvert, pour la Maison Lelièvre et pour Serax ?

José Lévy : La Maison Lelièvre n’avait encore jamais créé de mobilier, le seul élément existant qui pouvait s’y apparenter était le coussin et j’ai en quelque sorte joué avec en appelant ma collection « Jeux de salon ». Je me suis inspiré des jeux d’enfants qui prennent souvent possession du salon en déconstruisant cette pièce, en créant des cabanes avec les différents éléments de mobilier ou en chevauchant les accoudoirs, toute cette liberté qui me plait beaucoup. Mais toutes ces pièces ont aussi des influences japonaises, avec un design près du sol Mais toutes ces pièces ont aussi des influences japonaises, avec un design près du sol où ces micro architectures sont posées sur des socles de bois laqué noir, rouge ou miel, ou encore celles des années 1970, où l’on était souvent assis par terre, sur d’immenses tapis.

J.L : « Fontainebleau », que j’ai créée pour Serax, c’est une autre histoire, un projet très personnel, puisque c’est une collection de mobilier extérieur que j’avais créée pour ma propre maison de campagne. C’est une maison que j’adore, à seulement une heure de Paris, mais au milieu de la nature. J’ai absolument tout refait à l’intérieur, dessiné tout le mobilier et c’est très joyeux ! La collection « Fontainebleau » se compose donc des six éléments qui sont mon salon de jardin : un canapé, une chaise, un tabouret, une table ronde, un lit de repos et une table d’appoint, qui s’adaptent aux différents moments que l’on passe dans un jardin. Mais c’est un mobilier qui ne se limite pas seulement aux belles journées d’été ensoleillées, le reste de l’année on peut aussi choisir de le laisser dehors ou de l’installer à l’intérieur de la maison.

Avant Jeux de Salon, vous aviez créé il y a quelques années Jeux de table pour la Galerie S.Bensimon ou encore une sorte de théâtre nocturne pour votre exposition chez Emmanuel Perrotin, Il y a souvent un aspect ludique dans vos créations ?

J.L : Jeux de Tables partait de quatre formes géométriques, un triangle, une croix, un cercle et un carré ouvert qui étaient tour à tour jeu de construction, sculpture, ou mobilier minimaliste.

J.L : Chez Emmanuel Perrotin, pour l’exposition Oasis : Luconoctambules, j’ai joué avec l’imaginaire collectif : j’ai créé un jardin du Luxembourg nocturne où les arbres devenaient des ombres éclairés par la lune, les souris les pions d’un étonnant jeu d’échecs.

De même lorsque vous travaillez avec les savoir-faire de la Manufacture de Sèvres ou de Saint-Louis, par nature plutôt traditionnelles, vous n’hésitez pas à jouer avec le fond et la forme ?

J.L : Chez Saint-Louis, les Endiablés sont des objets qui multiplient les usages. Les Feuilles à tout en porcelaine noire émaillée de blanc, matière signature d’Astier de Villate, sont aussi à la fois des assiettes, des plateaux, des vide-poches ou des sculptures … Ici aussi J’aime l’idée que chacun puisse s’approprier l’objet en lui donnant la fonction qu’il a choisi.

Vous jouez donc beaucoup avec notre perception des choses, mais la sensualité des matériaux semble aussi être importante pour vous ?

J.L : On touche beaucoup les choses avec lesquelles on vit, certaines, comme la collection Rochers que j’ai créée pour Hermès, appellent même à la caresse. Ces trois sculptures représentaient les parties émergées de deux étalons figés dans ce qui semblait être de l’eau et la texture du cuir, le travail de gainage si minutieux donnaient aux courbes de l’animal beaucoup de sensualité. Mais on peut avoir envie de toucher à tout, un tissu, du verre, du papier …. Je fais toujours appel aux sens.

J.L : Au Bon Marché, pour une carte blanche, je m’étais amusé à transformer la passerelle qui relie les deux magasins en un passage où tous nos sens étaient sollicités, comme un pont imaginaire entre Paris et Kyoto qui prenait la forme d’une expérience temporelle et physique.

Parlez-moi du Japon, c’est très souvent un fil conducteur dans votre travail ?

J.L :  J’ai une histoire personnelle et intime avec le Japon, dans un constant va-et-vient entre le Japon contemporain et les objets que j’ai côtoyé durant mon enfance auprès de mon grand-père qui était collectionneur d’art japonais mais avait aussi une entreprise de fabrication d’arts martiaux et de kimonos. Il a été durant 40 ans le fournisseur officiel de tatamis pour les Jeux Olympiques et c’est avec lui, grâce à lui, que j’ai fait ma première expérience du japon : c’était très naturel pour moi de manger avec des baguettes ou de côtoyer une magnifique armure de samouraï à la maison, à une époque où voyager dans un pays si lointain était très rare. Ce qui était exotique c’était plutôt d’écouter certains de mes copains raconter leurs vacances chez des grands-parents agriculteurs, à la campagne, je ne connaissais pas ce monde-là qui pourtant était géographiquement très proche.

Ensuite avec mes collections de mode je suis allé régulièrement au Japon. En 2011, J’ai été invité à passer cinq mois en résidence à la Villa Kujiyama, à Kyoto, cinq mois magiques. C’est en rentrant à Paris ensuite, que j’ai commencé à convoquer le Japon dans nombre de mes projets.

J.L : Puis en 2014, j’ai réalisé la scénographie de la soirée de réouverture de la Villa Kujiyama. C’est un endroit magnifique, un bloc de béton reposant contre la montagne, perdu au milieu d’une jungle. Pour cette scénographie, j’ai jeté le lieu dans l’obscurité totale, ne l’éclairant qu’avec 500 bougies que j’ai conçues pour Diptyque. Je les ai disposées suivant un chemin de 3 étages, elles dégageaient un parfum incroyable, très fort, et lorsqu’on arrivait en haut, sur la terrasse, on découvrait une immense Nebuta, une lanterne de 7 mètres de haut, réalisée avec l’Université des Arts Traditionnels de Kyoto selon la technique traditionnelle. Une réinterprétation de l’armure de Samouraï que je regardais pendant mon enfance, chez mes grands-parents. Je l’ai appelé Le Veilleur. Un pont entre la France et le Japon, entre mon histoire passée et présente.

Dans votre travail vous convoquez souvent l’intime, le vôtre, le nôtre, mais en revanche vous n’évoquez pas de références historiques ?

J.L : Non, plutôt des souvenirs, des impressions. Paris est une matrice incroyable, la nature, les voyages aussi, l’architecture, le cinéma … Les Années 70 me plaisent beaucoup, j’aime la liberté de Memphis par exemple, mais je suis toujours curieux d’histoires nouvelles, le passé nous encombre déjà si souvent. J’aime l’idée que chacun puisse surtout s’approprier les choses, sans références. Je commence souvent mon travail avec des souvenirs personnels, mais ensuite Je n’impose jamais une manière précise d’utiliser ce que je crée. Ce qui m’intéresse c’est justement l’intimité qu’on aura avec l’objet que j’ai créé, qu’il rentre vraiment dans la vie des gens qui le choisiront.

Vous avez une grande liberté de création, vous vous confrontez à des domaines très différents ?

J.L : Oui mais j’aime le concret, c’est vraiment ce qui m’intéresse. Une collaboration c’est une conversation. Toutes ces pièces sont réalisées en France avec une précision incroyable. Je travaille beaucoup dans les ateliers, les usines à discuter et partager avec les artisans. Le savoir-faire est un outil sublime mais cela reste un outil qui ne doit pas être trop sacralisé. Le charme, la poésie d’un objet, sa désidérabilité, vont au-delà de ça. Encore une fois, ce qui m’importe ce n’est pas tant de créer un objet, mais plutôt de susciter un plaisir, une envie.

Vous aviez la même approche lorsque vous étiez Directeur Artistique dans la mode, pour votre propre marque, ou encore pour Ungaro ou Nina Ricci ?

J.L : Je crois oui, chacun pouvait s’approprier mes pièces en les associant ou pas. J’aime raconter des histoires, créer des collections complètes, dans tous les domaines, même si l’on peut choisir de n’acheter qu’une pièce et de raconter sa propre histoire. Mais dans la mode il n’y a pas seulement le vêtement, il y a aussi tout ce qui tourne autour :  la scénographie des défilés, la création des décors, les collaborations avec des artistes, toutes ces choses que j’ai eu envie d’explorer par la suite.

Il est rare de rencontrer un créateur aussi éclectique, dont le travail touche à tant de savoir-faire, pourtant vous n’aimez pas le terme de « Touche à tout » ?

J.L : En effet ! C’est souvent un abrégé de « Touche à Tout, Touche à rien ! » Eclectique, curieux et concentré  me paraissent plus justes. Comme je vous l’ai dit, j’aime raconter des histoires, je le fais de manière instinctive. Et je travaille : que je crée un projet avec Hermès ou bien avec Lexon, j’y mets le même sérieux, la même énergie, quel que soit le cahier des charges, c’est aussi la Règle du Jeu.