Frédérique Mattei

Frédérique Mattei est une créatrice à part dans le petit monde de la joaillerie. Son style, pour les amateurs comme pour les collectionneurs, est reconnaissable au premier coup d’œil, car ses colliers ne ressemblent à aucun autres. Ils sont uniques dans leur conception mais aussi par leurs origines très diverses. Au-delà du bijou et de l’esthétique, ce sont aussi des témoignages, ethniques et historiques. Dans son nouveau showroom, un ravissant écrin caché à l’abri des regards, où se côtoient atelier, galerie et salon, elle nous présente son petit monde.

Frédérique, vous avez eu un parcours étonnant avant de devenir cette créatrice de bijoux dont on parle beaucoup ?

Frédérique Mattei : Dans une première vie, j’ai travaillé dans la communication politique, pour une ONG au Sahel, puis à la Commission Européenne et enfin comme directrice de communication d’un homme politique. J’avais alors ma propre structure, je faisais du conseil mais aussi de la communication pour des projets très divers. Mais j’ai toujours créé des dessins, des collages, des bijoux …. D’ailleurs, quelle que soit mon activité, j’ai toujours cherché à tisser des liens, des filiations, à croiser des éléments, comme je le fais aujourd’hui avec mes bijoux. Dans mes colliers je réunis des éléments qui ne sont pas censés se rencontrer.

Avant cela, vous aviez tout de même reçu une certaine culture du bijou ?

F.M : C’est vrai, j’ai grandi entourée de femmes qui portaient des bijoux, ma tante en créait avec des éléments et des perles anciens, une grande partie de ma collection vient d’ailleurs de la sienne. Très jeune, à 18, 20 ans, je chinais beaucoup, aux puces notamment et je fabriquais des bijoux que je portais ou j’en achetais que je démontais ensuite pour en créer d’autres qui me correspondaient mieux. Depuis que je suis enfant j’ai une passion pour les perles. Mon parrain, réalisateur, qui était aussi co-réalisateur de Frédéric Rossif, voyageait toute l’année et m’en rapportait du monde entier. On m’en a aussi offert beaucoup au cours de ma vie. Aujourd’hui, certaines de mes perles sont introuvables et beaucoup sont très rares.

Quand avez-vous eu le déclic pour décider de vous consacrer entièrement à votre art ?

F.M : Ma première exposition a eu lieu fin 2014 et je me suis régalée, avant, pendant et après ! Patrick Perrin, le fondateur du PAD Art + Design, qui connaissait mon travail, m’a ensuite proposé d’y exposer et depuis je suis présente à chaque édition.

Vous chinez encore ?

F.M : Oui bien sûr, au cours de mes voyages, depuis toujours, ou lors de ventes. Les gens m’appellent aussi pour me proposer des pièces dont ils veulent se séparer. Je ne les achète que si j’ai un coup de cœur. Toutes les perles que j’utilise ne sont pas seulement belles, elles ont une histoire qui s’inscrit parfois dans l’histoire de l’humanité, elles ont 100 ans, 200 ans 1000 ans ou même 5000 ! Parfois c’est le dialogue d’une perle avec les autres qui m’intéresse, elles ont toutes un signifiant et un vécu qui font leur richesse, ce n’est pas leur valeur intrinsèque qui m’intéresse. Elles viennent de Birmanie, du Yémen, du Mali, de Côte d’Ivoire, d’Egypte, d’Afghanistan, du Rajasthan, d’Iran, de Chine, de Bohême … sont en lapis lazuli, en laiton, en jade, en cristal de bohême ou de roche, en or ou en corail … et elles datent aussi bien des années quarante que de l’antiquité pour certaines. Parfois on trouve des ressemblances même s’il elles proviennent de pays très éloignés. Dans chacune, il y a eu, dès leur création, une volonté esthétique, une intelligence de la forme qui permet en les assemblant de créer cet effet tourbillonnant du collier.

Comment choisissez-vous les perles que vous assemblerez ?

F.M : De manière instinctive, je les choisis sans raison ou pour plein de raisons ! Je ne fais aucun dessin préparatoire, tout est dans la tête, c’est inconscient, comme une écriture automatique. C’est parfois même un peu frénétique ! J’enfile les perles très vite et puis je pose le collier un jour ou deux sur mon bureau pour le regarder avant de le fermer. Ensuite je le porte pour voir s’il est équilibré au niveau du poids, de la composition et voir si ce qu’il dégage me plaît, s’il se pose comme une évidence. Lorsque je dessine j’ai la même démarche.

Ce sont des bijoux que l’on porte plutôt pour des occasions ?

F.M : Certaines de mes créations sont assez volumineuses mais je fais très attention au poids pour qu’on puisse aussi les porter dans la journée. J’aime aussi l’idée de créer des bijoux plus extravagants pour le soir ou pour de grandes occasions. Des bijoux que l’on a envie de transmettre parce qu’ils sont uniques, exceptionnels.

Vous réalisez aussi des commandes spéciales ?

F.M : J’en réalise environ une dizaine par an, mais on me le demande de plus en plus. Certaines collectionneuses viennent me voir avec des colliers ou des pièces qu’elles ont achetés il y longtemps et qu’elles ne portent plus. Si les perles m’inspirent, j’accepte de créer un autre objet.

Et c’est une autre histoire que vous racontez alors ?

F.M : C’est un exercice que j’aime beaucoup, parce qu’elles vont à nouveau porter leur collier, qui sera très différent de celui qu’elles avaient auparavant, en mélangeant leurs perles avec d’autres pièces, en les montant différemment, en les faisant dialoguer. J’ai toujours la volonté de créer une harmonie nouvelle avec des éléments disparates. Ces collectionneuses viennent me voir pour cela, pour que je crée tout à fait autre chose.

Et vos bagues, c’est aussi un peu votre bijou signature ?

F.M : J’ai créé la première pour moi, il y a cinq ans. Aujourd’hui, c’est toujours le même modèle qui se décline avec des pierres de couleurs différentes. Elles sont fabriquées dans un atelier à Jaipur et réalisées selon la tradition des bijoux anglo-indiens de l’époque victorienne. Ce sont des pierres précieuses, semi-précieuses et des diamants montés sur argent comme cela se faisait beaucoup à la fin du 19ème siècle. J’avais envie d’une bague précieuse et présente mais facile à porter. En fait, la bague que je souhaitais porter tout le temps ! Je l’appelle « ma bague d’héritage » parce qu’elle aurait pu appartenir à une aïeule ayant vécu aux Indes.

Vous donnez le sentiment de créer absolument sans contraintes, avec une liberté absolue ?

F.M : C’est juste une passion qui me guide et je n’ai pas de formation en joaillerie ou en gemmologie, donc pour mes bagues, comme pour les colliers d’ailleurs, je me permets toutes les associations qui me plaisent : émeraude et tourmaline, topaze et diamants, citrine et rubis… C’est une bague qui a ce petit twist historique que j’affectionne et en même temps je la trouve très contemporaine.

Comment êtes-vous passée du bijou à l’objet, en créant ces sculptures ou encore les boites en laiton que vous présentez pour la première fois chez Alexandre Biaggi pour l’exposition « Femmes singulières » ?

F.M : Sculptures à porter, tableaux-bijoux … J’ai toujours dessiné, fait des découpages que j’assemblais, mais aussi des plaques en argile, des bijoux de mur en laiton à intégrer dans un décor. Des créations que je n’ai encore jamais montrées. Pour moi le bijou est un accessoire mais c’est aussi un objet que l’on peut poser comme on le ferait avec une sculpture. Pour les boites en laiton que je présente chez Alexandre Biaggi, l’idée est toujours d’assembler, d’unir des fragments, des formes, pour créer une entité nouvelle. Je travaille sur la notion de lien. Le moment de création n’est pas qu’instinctif. Un travail inconscient se juxtapose, il s’apparente au processus de l’écriture automatique.

Crédits photo : Frédérique Mattei, Jean-Joseph Renucci, Cédric Porchez, Thomas Hennocque, Alexandre Biaggi

FREDERIQUE MATTEI