Fabrice Juan

A deux pas du Palais Royal, rencontre avec Fabrice Juan dans les nouveaux bureaux de son agence d’architecture intérieure. Un très joli lieu qui abritera aussi ses créations de mobilier. Pour vous parler de son univers, nous avons choisi de revenir sur la réalisation d’un chantier, un sublime appartement parisien, mais surtout sur la conception d’une pièce qui, au départ, semblait anecdotique dans ce décor, avant d’échapper, en quelque sorte, au décorateur, en devenant une pièce iconique de sa collection de mobilier, une pièce qui nous plaît aussi beaucoup, entre autres parce qu’elle se nomme Le Saint-Germain !

Fabrice, l’aventure de votre canapé Saint-Germain est devenue une vraie success story ?

Fabrice Juan : C’est vrai que son style néo Art-Déco plaît beaucoup, c’est devenu une pièce un peu emblématique parmi celles que nous avons créées. Pourtant, le Saint-Germain a d’abord été une petite banquette spécialement conçue pour l’alcôve d’une chambre, puis je l’ai déclinée en banquette, en fauteuil et même en chaise, et c’est devenu l’une des pièces phares de notre collection de mobilier. Nous avons parfois des commandes spéciales, avec des dimensions différentes. Nous l’avons édité avec Métaphores, mais nous avons également réalisé une série très limitée de dix exemplaires pour rendre hommage au centenaire du Bauhaus. D’une petite banquette, c’est devenu une pièce aux formes élégantes mais généreuses et confortables.  

Même les animaux ont le leur aujourd’hui ?

F.J : J’aime bien que ce soit un objet d’assise, de confort, mais aussi un meuble de conversation, j’ai donc poussé le projet à l’extrême en le déclinant pour les chiens, c’était un clin d’œil mais cela rencontre un certain succès !

Parlons du chantier pour lequel a été créé le Saint-Germain justement, il était assez incroyable ?

F.J : J’avais une carte blanche pour cet appartement et ça c’est évidemment ce que l’on préfère en architecture intérieure. On peut alors pousser l’exercice jusqu’au bout, tout réinventer en partant d’une page blanche. Les lignes pures de l’appartement sont assez classiques. J’ai pu créer des plafonds à caisson, recréer des moulures, utiliser la matière et les volumes pour créer des liens. La plupart des meubles ont été dessinés et réalisés sur-mesure, en apportant un soin particulier au choix des différents matériaux. Comme cette commode dans la chambre de Maître, conçue en laque et laiton, qui démontre tout le savoir-faire de grands artisans.

Tout est très harmonieux, précis, construit, pourtant en vous parlant j’ai l’impression que vous travaillez aussi de manière instinctive ?

F.J : Mes débuts dans l’ébénisterie il y a une vingtaine d’années font que dans mes projets d’architecture intérieure, je dessine la plupart des meubles. Et ça commence en effet quelquefois sur un simple post-it ! Mais ensuite c’est un travail d’équipe. La mienne, à l’agence, pour les premières épreuves, les premiers essais, qui sont quelquefois longs. Avec les artisans ensuite qui, souvent, me guident à partir d’un dessin. Pour moi ce ne sont pas du tout des exécutants mais de véritables partenaires. Ici, par exemple, je voulais pour le salon principal une cheminée basse et longue. Avec l’Atelier Prométhée à Saint-Denis, nous avons cuit et émaillé spécialement chacun des carreaux, ce qui en fait une pièce unique.

Vos inspirations sont très diverses, quel en est le lien ?

F.J : Je ne suis pas sûr qu’il y en ait un. Des seventies je peux passer à des inspiration Art Déco. J’ai débuté dans l’architecture intérieure avec Jean-Louis Deniot, il y a une dizaine d’années. Avec lui j’ai beaucoup travaillé le néo-classique, c’est une excellente base pour s’échapper ensuite et ne pas avoir de limites dans les formes ou dans les matériaux, d’ailleurs je n’en oublie pas les codes, qui me servent toujours. Je suis aussi très admiratif et respectueux du cadre historique dans lequel s’inscrivent mes projets : pour ce chantier par exemple, j’ai choisi d’engager les artisans qui ont réalisé le dôme de l’Église Orthodoxe, visible depuis la fenêtre du grand salon, afin de reproduire les mêmes patines.

Vous ne souhaitez pas être reconnu pour un style très précis ?

F.J : Non, je n’ai pas vraiment envie d’avoir une ligne directrice, ce serait pour moi une façon de m’enfermer. Chaque meuble a une forme ou un style très différent des autres. Le travail de la matière me passionne, le bois, mais aussi la laque, la pierre, le marbre et les tissus bien -sûr. J’aime les associations aussi.

Vous travaillez aussi souvent avec les éditeurs ?

F.J : Je collabore souvent avec eux c’est vrai : avec la Maison Pouenat, j’ai réalisé le miroir Odéon avec du gypse très fin, gâché et feutré à la main. Avec Métaphores, nous avons drapé la banquette Saint-Germain et aujourd’hui avec Lelièvre le fauteuil Odyssée et le canapé Nymphe.

Comme d’autres décorateurs vous êtes attachés à une certaine idée du style français dans la décoration ?

F.J : Et même d’un certain art de vivre à la française, qui est exceptionnel, riche de tant de petites et de grandes choses. J’aime par exemple tellement la rive gauche au petit matin, quand tout est fermé et que les gens commencent à sortir. Les monuments qui parfois côtoient mes chantiers m’inspirent aussi beaucoup dans mes projets. Mais pour en revenir au style français, je partage les mêmes valeurs que celles des artisans avec lesquels je travaille. Les pièces que nous créons ensemble, le plus souvent uniques et numérotées, sont en quelque sorte des œuvres d’art et c’est vraiment une exception française.

FABRICE JUAN