Vincent-Emmanuel Rouxel

Entre Paris et Milan, Vincent-Emmanuel Rouxel donne le ton. D’une ville à l’autre, mais aussi à New York, Bruxelles ou Maastricht, il scénographie galeries, résidences privées ou stands de foires prestigieuses avec toujours le même enthousiasme de devoir créer de toutes pièces un univers qui donnera au visiteur, au collectionneur, l’impression de pouvoir s’approprier l’espace d’un instant ou bien celui d’une vie les pièces qui y sont présentées. Rencontre avec le plus germanopratin des milanais et le plus milanais des germanopratins.
Vincent-Emmanuel, tu es scénographe, et c’est plutôt un métier que l’on projette communément dans les arts de la scène, avec toi en revanche, il s’agit bien de décor ?
Oui, créer un décor pour une galerie ou pour des collectionneurs en gardant toujours en tête l’idée d’un espace à vivre, pas celui d’un espace muséal, pour que le collectionneur puisse se projeter, voir des objets qu’il n’aurait peut-être pas remarqué dans d’autres conditions scénographiques. Remettre les objets en valeur de manière plus moderne, en montrant qu’on peut vivre avec. Même si tu es l’un des grandes références en matière d’Art Déco, comme c’est le cas de la Galerie Anne-Sophie Duval avec laquelle je collabore depuis sept ans, tu dois vivre avec l’air du temps, la clientèle rajeunit, a d’autres références et aime associer les mouvements. Cette génération a une vraie curiosité de l’objet, de sa fabrication, de sa provenance. Le dialogue avec eux est passionnant.

Quel a été ton parcours ?
C’est une longue histoire ! Dès tout petit, la mise en scène des objets, même ceux du quotidien me passionnait. Je trainais avec ma mère, ma grand-mère dans des brocantes, je chinais de petites choses et je leur cherchais toujours un socle avant de leur trouver une place dans mon univers. Ma mère Annie Rouxel était peintre, mon grand-père Joseph Rouxel architecte et mon parrain Marc Petitjean dont j’étais très proche architecte également, mais il était aussi muséographe, faisait de nombreuses scénographies pour les musées, notamment les mises en socles et je l’accompagnais souvent, je trouvais ça passionnant.
Ensuite j’ai eu un parcours un peu atypique. Je suis commissaire-priseur de formation, spécialisé en archéologie chinoise et en gemmologie. J’ai travaillé dans de grandes Maisons, Buccellati et Boucheron. Gianmaria Buccellati est d’ailleurs un peu mon mentor, il me laissait déjà mettre en valeur les bijoux qui, lorsqu’ils ne sont pas portés, ont aussi besoin de vivre, d’être mis en scène.
Aujourd’hui ce sont des galeries, des décorateurs, des collectionneurs que j’accompagne dans le choix des pièces d’art ou dans la scénographie.

De quelle manière travailles-tu avec la Galerie Anne Sophie Duval ?
C’est une chance de travailler avec Julie Blum, sa galerie, créée par sa mère, fait vraiment partie du patrimoine germanopratin. Les galeries de Saint-Germain des prés ont d’ailleurs toutes une vraie « patte », elles donnent l’envie aux collectionneurs d’associer des choses, d’aller vers les autres, de musarder, il n’y a pas ce côté rigide, presque froid que l’on retrouve ailleurs.

Avec Julie, nous avons une très grande complicité intellectuelle et amicale. Elle me laisse une grande liberté, accepte les nouvelles idées avec beaucoup de générosité. Nous avons une confiance mutuelle et je crois que nous avons la même exigence dans notre travail. Nous nous sommes rencontrés dans un train pour Maastricht où nous allions tous les deux à la TEFAF. Nous avons discuté durant tout le trajet et avons décidé de travailler ensemble, tout simplement ! Nous avons d’abord conçu des stands pour Armory Show à New York, Ceramic Brussels, TEFAF et FAB Paris, puis pour les expositions de la galerie.

Armory Show, New York (prix du Meilleur stand)
Depuis quelques temps nous collaborons aussi avec des artistes contemporains pour des expositions temporaires. J’ai la chance d’avoir un œil extérieur qui vient aussi chambouler les choses, comme ce fut le cas au printemps dernier avec l’exposition de Julien Drach, « Roots for Heaven », dont j’étais à la fois curateur et scénographe. Confronter ses photographies de Pompéi et du Parthénon d’Athènes au mobilier et aux objets art déco de la galerie s’est révélé très enrichissant esthétiquement.

Tu travailles aussi avec des architectes d’intérieur comme Nathan Litera ?
Avec Nathan j’ai travaillé sur une maison à New York, un château en Belgique, des appartements à Paris. Il souhaitait que je chine des objets pour ses décors et que je les mette en scène. Avec lui aussi c’est un dialogue permanent. Apporter un peu d’histoire avec des objets anciens dans des intérieurs très contemporains, retapisser des sièges du 18ème avec des tissus très modernes me passionne aussi.

Photo Mathieu Salvaing

Photo Mathieu Salvaing
Et avec des collectionneurs, comment procèdes-tu pour les accompagner dans la mise en scène de leurs collections ?
Certaines personnes aiment les objets mais ont en effet besoin ou apprécient d’être accompagnés pour les mettre en scène dans leur décor. Dans ce travail, Il y a quelque chose de l’ordre de l’intime qui se joue bien sûr, c’est un dialogue qui demande une grande confiance et surtout une approche spécifique pour chacun. Mais j’aime beaucoup associer des œuvres qui marquent une vie, faire des mariages étonnants avec des objets qui proviennent d’époques ou de continents différents et qui pourtant se côtoient merveilleusement. D’ailleurs, même prestigieux un objet peut avoir plusieurs vies, changer de place, de lieu, être réencadré, re-soclé …

Photo Mathieu Salvaing
Le jeu des correspondances te passionne ?
Oui, exactement. Le dialogue entre les objets qu’on peut trouver dans l’esthétique, la temporalité ou même un simple ressenti. Provoquer une émotion, quelle qu’elle soit. Il faut vivre avec les objets, voir du beau au quotidien. Cela peut même être un refuge, une bulle propice à l’imagination. Les enfants sont passionnants dans leur relation à l’art, ils n’ont pas de filtre et sont souvent très justes. D’ailleurs avec les objets, ma manière de « jouer » avec, j’ai l’impression de retrouver une part d’enfance !

Tu vis entre Saint-Germain des prés et Milan ?
C’est divin de naviguer de l’un à l’autre. Saint-Germain a toujours été mon village dans la ville, celui dans lequel je me balade, dans lequel je me nourris artistiquement, architecturalement, intellectuellement. A chaque fois que je reviens, c’est une source d’inspiration et d’énergie créative. Les rencontres sont faciles aussi. Je suis parti pour Milan par amour et j’en suis également tombé amoureux.
Tu as exporté ce mode de vie germanopratin et cette vision des choses à Milan ?
Les correspondances entre les deux villes sont nombreuses, derrière les portes il y a souvent dans l’une ou dans l’autre, un jardin, un hôtel particulier, un ancien palais … On y fuit l’uniformisation totale. Il y a quelque chose de plus théâtral en Italie. D’ailleurs j’ai remarqué que là-bas j’avais tendance à charger plus les décors qu’à Paris, où je les épure souvent.

Outre l’Art Deco, pour ta propre collection d’objets d’art, quelles sont tes périodes de prédilection ?
L’Art Deco ce sont dix ou quinze ans qui ont révolutionné les arts décoratifs et n’ont cessé depuis d’influencer des générations de créateurs, c’est donc une période qui ne cessera jamais de m’inspirer, mais je suis insatiable d’objets, même si j’ai tendance à me discipliner ! J’aime l’archéologie chinoise, mais aussi la sculpture, la peinture ou les bijoux, c’est très hétéroclite et très loin de l’épure ! Je n’ai pas de considération pour la valeur des choses, je mélange tout. Je chine partout, tout le temps. Je change mes mises en scène au gré de mes envies. J’adore dresser des tables par exemple, je peux y passer une journée entière. Je pense que la ligne directrice est une forme de dialogue que j’instaure entre les objets, leur mise en scène, tout cela doit me ressembler.

Tu aimes aussi les dissonances ?
Pour moi elles n’existent pas vraiment. Il n’y a pas de mauvais goût, il y a des gens qui assument leurs goûts, qui ont de la fantaisie et d’autres pas. La seule chose qui m’ennuie ce sont les intérieurs entièrement consacrés à à une seule période des arts décoratifs ou ceux, sans âme, qui répondent seulement à une mode.
Quelle est ta relation avec les objets, ceux que tu possèdes ?
Il a beaucoup évolué, je m’en détache plus facilement qu’auparavant. D’abord, comme je te l’ai dit, j’attache très peu d’importance à leur valeur marchande, les objets ont surtout la valeur que tu leur donnes, tout peut être trésor. D’ailleurs les marchands avec qui j’ai l’habitude de travailler, qui présentent tous des pièces exceptionnelles, ont toujours cette curiosité là, ils restent des collectionneurs qui recherchent un objet qu’ils vont aimer, quels qu’ils soient, où que ce soit …
