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Lee Ufan

Lee Ufan suit sa voie, depuis plus de six décennies. Les engouements successifs de ses contemporains ne l’intéressent pas. Dès ses premiers travaux, quelques principes étaient déterminés et n’ont pas varié depuis. En sculpture, c’est la simplicité des volumes et l’emploi de peu de matériaux, naturels ou humains, rochers érodés et plaques de métal ou de verre. En peinture, c’est aussi la simplicité des formes posées et répétées sur la toile et ce fut, longtemps, l’emploi d’un nombre restreint de couleurs. Dans un monde saturé d’images de toutes origines qui inspirent la méfiance, cette restriction des moyens est aux arts visuels ce qu’une retraite était autrefois à la vie ordinaire : une rupture délibérée et la création d’un lieu pour la réflexion, le silence et la contemplation. Il y a de l’ermite et du poète en lui. Dans ses écrits, cette nécessité intérieure est immédiatement sensible, autant que l’étendue de ses références philosophiques.

Ces lignes, on aurait pu les écrire il y a longtemps déjà, à l’époque des séries From Point et From Line, car ce sont les caractères fondamentaux de son œuvre. Mais, à partir des premières Correspondances de 1991-1992, la peinture de Lee Ufan change. Si la toile demeure blanche, les formes deviennent plus larges et plus denses. Les brosses déposent des touches oblongues, ourlées parfois d’une légère écume de peinture. Elles déclinent d’un bord à l’autre des variations de gris, du très sombre au presque transparent. Tantôt une forme seule se place au centre de la toile. Tantôt, elles sont deux, trois ou plus nombreuses, réparties sur la surface. Dans ce cas, leurs situations les unes par rapport aux autres suscitent des sensations d’espace et de mouvement, comme au temps de ses séries From Winds et With Winds, mais avec d’autres solutions picturales, plus retenues. Il en est ainsi de la série Dialogue, que la peinture soit sur la toile ou sur le mur. 

Les œuvres les plus récentes, dont beaucoup sont nommées Response, ne sont pas composées autrement  : une ou plusieurs formes séparées sur le blanc. Mais elles accueillent la couleur. De même que le gris allait de l’ombre à la pâleur, le bleu ou le rouge, dans toute leur intensité au centre de la forme, sont absorbés par l’ombre sur un bord et par la lumière sur le bord opposé. La couleur disparaît alors, engloutie par un assombrissement progressif qui va presque jusqu’au noir et, symétriquement, dévorée par une blancheur de plus en plus aveuglante. Que la forme soit verticale ou horizontale, le passage de la lumière à l’ombre s’accomplit inexorablement. Quand il se rapproche, l’œil perçoit les mouvements ondulatoires de la touche, qui accentuent la sensation de vie. Ni la couleur, ni la forme ne sont stables. Et pas plus l’espace, car la frontalité est perturbée par ce phénomène chromatique. 

Lee Ufan trouve ici, à nouveau et autrement que précédemment, comment inscrire et faire sentir le passage du temps. Il y a le temps de l’artiste, celui de la création picturale et de son accomplissement, qui laisse ses traces légères dans les mouvements de la couleur, qui sont ceux de la main et du poignet du peintre. Il y a le temps de celle ou de celui dont le regard suit ces lignes vibrantes le long de ces glissements chromatiques et, à ce moment, s’extrait de la temporalité ordinaire du quotidien, celle de notre présent accablant. Ce moment est celui d’une contemplation qui rend plus intensément vivant. « La vie d’une œuvre d’art, écrivait l’artiste en 2012, est une sensation transcendante. Cette vie tressée par l’œuvre s’insère en profondeur dans l’ordre et le principe complexe de la répétition qui la connecte avec l’univers, les ondes et les souffles. Voilà ce qui est au-delà de moi, autre, et qui relève de la vie universelle. »

Vivant, cet art l’est à tel point que l’exposition révèle des peintures toutes récentes, acryliques et aquarelles, qui surprennent. Les formes aux couleurs changeantes semblent glisser les unes contre les autres et, parfois, se réunissent. Simultanément, le chromatisme admet des nuances jusqu’alors absentes, minérales ou marines. Les œuvres de Lee Ufan s’en vont dans une direction nouvelle, une fois encore.

Philippe Dagen

du 3 octobre au 20 décembre 2025

MENNOUR

6 rue du Pont de Lodi