Ronit Pardo

A deux pas du jardin du Luxembourg, entre Saint-Germain des prés et Montparnasse, j’ai rendez-vous avec Ronit Pardo. La magie opère dès que l’interphone retentit et m’ouvre les portes de cet immeuble art déco, construit par Henri Sauvage dans les années 20, mais c’est compter sans l’univers que je vais découvrir chez Ronit, peuplé par le mobilier et les luminaires de Gio Ponti, Ingo Maurer, Max Ingrand, Franco Albini, Gabriela Crespi, Fabrizio Casighari ou encore des photographies de Julien Drach. Toutes ces pépites que Ronit chine à travers le monde pour une clientèle de décorateurs et de collectionneurs.

Ronit, tu as un métier passionnant mais qui impose une certaine réserve ?

Oui, j’ai un travail qui me demande d’être souvent en retrait des décorateurs ou des architectes d’intérieur. Je les accompagne dans leurs projets en restant dans l’ombre.

Pour eux tu fais ce qu’on appelle du sourcing : tu recherches les meubles, les objets, les luminaires qui viendront habiller leurs décors ?

Dans une première vie j’ai été styliste de vêtements pour enfants pour de grandes marques françaises avant de créer la mienne. Quand je suis arrivée dans cet appartement en 2014, j’ ai fait réaliser pas mal de travaux et je n’avais plus vraiment de budget pour le décorer. J’ai toujours voué une véritable passion au vintage et pour moi il n’était pas question de faire autrement pour ce décor, mais plutôt que d’aller dans les galeries ou aux puces comme je l’avais toujours fait, j’ai commencé à chiner moi-même. Partout où j’allais, où je voyageais, mais aussi dans les ventes aux enchères. Il a fallu plusieurs années pour former mon œil à authentifier certaines pièces : dans une galerie on est sûr de la provenance des choses, beaucoup moins quand on chine. Petit à petit j’ai créé un réseau de collectionneurs, puis de décorateurs fidèles et j’en ai fait mon métier. Un projet en amène un autre et aujourd’hui je travaille sur des choses très différentes, de toutes tailles, des hôtels comme des résidences privées.

Depuis une quinzaine d’années on observe d’ailleurs un vrai changement dans la façon dont les décorateurs abordent leurs projets hôteliers ?

Oui ils recherchent désormais plus souvent du vintage pour créer des endroits singuliers. Que les chambres par exemple, même s’il y a un fil conducteur, soient toutes un peu différentes, avec des objets, une pièce de mobilier, qui changent de l’une à l’autre.

De quelle manière travailles-tu avec eux ?

Les projets sont très variables, mais en général j’ai une ligne directrice de la part du décorateur et je pars ensuite à la recherche des pièces. Mais parfois ils me lancent de vrais défis en me demandant de trouver des pièces très pointues ou avec des dimensions très précises, en respectant un budget serré et j’adore ça !

T’arrive t’-il à ce moment-là du projet de leur faire des propositions ?

Quand ils viennent me voir, ils ont quelque chose de très particulier en tête. Si le moodboard est déjà fait, je ne peux pas faire de propositions, je dois faire des recherches très précises.

Les pièces que tu chines au coup de cœur sont donc plutôt destinées à une clientèle privée ?

J’achète des choses en pensant à quelqu’un, des gens pour qui je chine régulièrement, dont je connais les appartements. Parfois j’en achète sur un coup de cœur sans savoir pour qui elles seront. Elles restent chez moi un moment avant de partir chez la bonne personne. Je crois que c’est l’une des choses que je préfère dans mon métier : savoir que la pièce que j’ai chinée trouvera sa place chez un collectionneur qui l’appréciera vraiment. Parfois je sens aussi que c’est le bon moment pour acheter une pièce, qu’elle va devenir très rare ou que les prix ne vont pas tarder à s’envoler, si je sais que je pourrai vivre avec un moment avant de la vendre, je n’hésite pas ! Je me vois souvent comme une gardienne de tous ces objets que je garde un temps avec moi mais dont je me sépare très facilement.

Cet appartement doit être un vrai lieu d’inspiration pour tes clients ?

Oui souvent. Il y a même certains objets que je voudrais garder pour moi mais les gens qui passent ici, professionnels ou pas, en décident autrement ! Tout bouge dans cet appartement, c’est en perpétuel mouvement.

Tu as des lieux de prédilection pour chiner ?

Il y en a beaucoup ! Mais j’ai envie de te dire l’Italie, même s’il faut y faire très attention à la provenance des pièces. En Angleterre aussi je trouve de très jolies choses. Je suis les ventes aux enchères dans le monde entier, même si j’aime bien voir ce que j’achète. Je chine aussi bien des meubles que des objets, je trouve que pour terminer une maison il est important d’y mettre de beaux objets, qui ont une histoire. Ils disent beaucoup de nous et ce sont aussi des choses qu’on transmet facilement.

Le fait que tu aies longtemps fréquenté les galeries et que tu le fasses encore te permet aussi d’avoir une relation privilégiée avec les marchands et les antiquaires ?

Oui, d’autant plus que parfois, pour certains projets, je suis obligée de sortir de ma zone de confort, le 20ème siècle. Lorsqu’on me demande des pièces début 19ème par exemple, j’ai besoin d’avoir un œil autre que le mien pour me conseiller.

Dans les arts décoratifs du 20ème siècle, tu sembles aimer aussi bien l’Art & Crafts que le design italien des années 60 ?

En fait plus j’avance dans mon métier et plus je pense que l’art déco est la base pour beaucoup de choses. Les lignes sont parfaites et tout peut s’associer avec. Mais c’est vrai que j’adore mélanger les styles.

Tu dessines aussi des meubles, tu crées des objets ?

J’ai dessiné cette table par exemple, que j’ai fait fabriquer en Italie, parce que je ne trouvais pas celle que je voulais. J’avais une idée très définie et maintenant j’aimerais l’éditer et la décliner en console ou en table basse, en modifiant la matière du plateau mais en gardant la forme très arrondie des angles.

En regardant les objets comme les éléments de ton décor, on sent que tu aimes le travail de la matière, comme ce sol par exemple, créé par Dimorestudio, qui associe le laiton, le marbre et la pierre ?

Je ne suis pas décoratrice d’intérieur, mais pour moi il faut toujours faire des associations avec les matières, les textures,  pour créer un équilibre entre le chaud et le froid, comme on le fait avec la couleur.

Quel rapport entretiens-tu d’ailleurs avec la couleur ?

J’ai toujours vécu dans du blanc et dans cet appartement ci la couleur s’est imposée, peut-être parce que je trouve son architecture plutôt féminine. J’avais envie de pièces dans un esprit « In the Mood for love » et pour les relier des pièces traitées dans un pink nude, très doux à l’œil. Mais je suis très tentée en ce moment de créer une nouvelle histoire dans ce lieu et peut-être d’écrire une page blanche !

Ton compagnon, Julien Drach, photographe, est aussi un passionné de décoration ?

On est très inspirants l’un pour l’autre. Ses goûts influencent les miens et vice versa. Où que nous allions, en France ou à l’étranger nous chinons partout, tout le temps !

Tu es une parisienne et une germanopratine invétérée ?

Pourtant je suis britannique. Je suis née à Londres et j’y ai vécu jusqu’à l’âge de vingt ans. Je suis venue à Paris pour la première fois à 17 ans et je l’ai détestée ! Puis je suis revenue y vivre quelques années plus tard et c’est devenu ma ville : elle est à taille humaine, on a tant de choses à y faire, d’expos à voir, et puis elle est si belle ! Aujourd’hui  je ne m’imaginerais pas vivre ailleurs.

Photos : Julien Drach

Ronitpardo@me.com