Philippe Cognée
La peinture d’après

Le musée Bourdelle consacre à Philippe Cognée sa plus importante rétrospective, une occasion unique de plonger dans l’univers de celui qui a su donner une nouvelle impulsion à la peinture figurative dans les années 80. L’exposition présente des toiles uniques, réalisées à l’encaustique puis retravaillées au fer à repasser, offrant des visions floues et tremblées, caractéristiques de l’œuvre de l’artiste. Cette technique lui permet de transcender la peinture, qui devient mystérieuse en faisant disparaitre le sujet dans le flou. Cognée évoque cet effet de « floutage » de l’image comme une manière d’effacer le geste pictural du peintre, sa signature. Pourtant cette technique, récurrente dans son œuvre, est devenue à son tour sa signature.

Une longue séquence de peintures et de sculptures rappelle combien Philippe Cognée s’emploie à explorer l’héritage de ses aînés, Bourdelle, mais aussi Velázquez, Ingres ou Rubens. L’artiste en est conscient : on peint toujours après, et d’après.

Mais l’exposition est surtout articulée autour du “Catalogue de Bâle”, réalisé entre 2013 et 2015 et constitué d’un millier d’œuvres élaborées selon un même protocole : l’artiste, après avoir déchiré des pages issues des catalogues d’Art Basel, peint une copie de et sur la reproduction d’une œuvre, signée Jeff Koons, Pablo Picasso, Alberto Giacometti ou d’un artiste moins célèbre, voire oublié. Cette repeinture, qui épouse le format exact de la reproduction photographique qu’elle vient recouvrir, joint donc, dans un même geste, dans un même mouvement, une disparition et une apparition.

Contrecollées sur aluminium, ces œuvres sont présentées les unes à côté des autres au cœur d’un long labyrinthe, formant une frise hypnotique. Pareilles à des photogrammes, elles dessinent un plan ou un travelling. La peinture apparaît ainsi comme un fil rouge, ou un fil d’Ariane.

Enfin, une grande salle, comme piégée dans le labyrinthe, constitue la troisième séquence de cette exposition : tandis qu’une Tête de taureau (1989), sculpture archaïsante évoquant le minotaure, fait face au Grand Masque tragique (1901) de Bourdelle, les cimaises accueillent six toiles monumentales et inédites appariant la fleur à la sculpture.

Pour le musée de l’Orangerie, Cognée a créé un ensemble de peintures inédites, forêt, broussailles et foules qui interrogent tant la perception du paysage que la peinture. En alchimiste, il liquéfie la matière, la griffe, la gratte, la recouvre. Les interventions sur la toile, empreintes d’une violence réelle, d’un investissement physique de l’artiste, contribuent à la présence de la peinture plus encore qu’à la représentation des sujets, eux-mêmes imprégnés de sauvagerie ou d’inquiétude. Faire œuvre, souligne Cognée, « c’est tenter une forme d’introspection dans la matière elle-même ». En cela, il rejoint l’un des aspects fondamentaux de la lente et complexe élaboration par Monet de ses « Grandes décorations ».
