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Niki de Saint-Phalle

Tableaux éclatés

Hymne d’amour. Cannibalisme. Communion.
Jean, je te mange. Je prends ta force.
Ton âme s’unit à la mienne.
La panne, le mouvement, m’appartiennent aussi à moi maintenant.
En attendant la panne, en attendant Godot, j’attends le pépin, la Vie.
J’arrive même à guetter la panne (peut-être pour avoir cette joie infinie que
ça marche de nouveau.)
À travers mes nouvelles œuvres, Jean, nous continuons à collaborer. Tu es
toujours présent même si ces tableaux ne te ressemblent pas.
ORDRE – CHAOS – CONCRET – ABSTRAIT – COMPOSITION –
DÉCOMPOSITION. L’ETERNEL RETOUR.

Ainsi sʼexprime Niki de Saint Phalle dans une « lettre à Jean » écrite en 1993 pour présenter sa nouvelle série dʼœuvres,] les « Tableaux éclatés », les plaçant sous lʼégide de lʼartiste Jean Tinguely, son ancien compagnon rencontré plus de trente ans plus tôt. Jamais réellement quitté, resté lʼalter ego, lʼami, le compagnon dʼart encore plus que de vie, celui-ci est décédé deux ans plus tôt.


Comme souvent, Niki de Saint Phalle réagit à ce coup du destin par lʼart, en créant une nouvelle forme qui puisse y répondre. Ce seront ici les Tableaux éclatés. Si ces œuvres qui font écho à sa vie pourraient paraître de circonstance, personnelles, la manière dont elle dépasse lʼévènement, même tragique, dont elle partage lʼintime avec le public, dont elle fait résilience par la création, leur confère une sorte de vérité intime qui fait humanisme et universalité. Son art est une mise en scène qui transcende le cours de la vie et dans lequel, malgré les conjonctures, son style, sa ligne colorée, soninventivité, sont réaffirmés, aisément reconnaissables.

À partir de 1992, lorsqu’elle décide de reprendre cet enjeu du mouvement à son compte, elle le fait à sa manière. Elle puise dans la formule des « Méta-reliefs » de Jean Tinguely des années 1950, du temps de leur rencontre. Ainsi elle choisit de cacher au revers des tableaux réalisés avec le soutien technique de son assistant Marcelo Zitelli les moteurs qui mettent en action les formes découpées présentes dans le tableau et mues par le passage des spectateurs grâce [à des capteurs]. Bien que la technique soit ostensiblement empruntée à Tinguely, les thèmes et le vocabulaire plastique sont bien ceux de Niki de Saint Phalle.

Parmi les motifs des Tableaux éclatés, on retrouve bien sûr les fameuses Nanas, baigneuses composant depuis les années 1960 une « armée » de femmes affranchies, bien loin des odalisques passives des musées des Beaux-Arts, et dont les corps plantureux et les couleurs des costumes symbolisent une affirmation artistique et féministe joyeuse, assumée et revendiquée.

Dans les Tableaux éclatés, les couleurs vives sont encore exacerbées, vivifiées par les possibles de la lumière électrique. Toutefois, si ces Tableaux sont dits « éclatés », le mouvement des formes en relief y reste doux, relativement lent, en tout cas
mesuré. Comment comprendre alors le terme « éclaté », quʼon ne peut imaginer choisi au hasard ?

du 15 septembre au 29 octobre 2023

Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois

33 & 36 rue de Seine 75006 Paris