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Les années heureuses

Denise photographiée par son père Émile Zola 

Initié à la photographie en 1888 au même moment où il s’éprend de Jeanne Rozerot, lingère au service de son épouse Alexandrine, l’écrivain -et intellectuel engagé- Émile Zola pratique le medium de manière intensive à partir de 1894, alors qu’il a presque achevé son grand projet littéraire, le cycle romanesque des Rougon-Macquart.

Parmi près de dix mille clichés consacrés aux lieux où il séjourne (Paris, Médan, Verneuil-sur-Seine, Londres où il part en exil en 1898 pendant un an, condamné en diffamation après sa courageuse lettre ouverte « J’accuse ! » publiée dans L’Aurore), aux sites qu’il visite, aux villes étrangères qu’il découvre, aux amis et aux domestiques qui l’entourent, aux personnages de rencontre, les plus remarquables et émouvants d’entre eux sont les portraits qu’il fait de ses proches.

À la manière d’un journal intime, il capte en images son microcosme familial, mais aussi le drame intime d’une double vie déchirée entre deux foyers et deux femmes. Comme les lettres qu’il adresse à ses « trois mignons adorés », sa maîtresse Jeanne et les enfants qu’il a eus d’elle, Denise (née en 1889) et Jacques (né en 1891), avec lesquels il mène une existence clandestine, ses photographies sont des déclarations d’amour enflammées.

Une étonnante collaboration entre l’amateur photographe et son jeune modèle s’instaure dans la « grande maison de campagne enclose de murs » de Verneuil-sur-Seine, « où pas un regard étranger ne pouvait pénétrer », ainsi que l’écrira Denise dans la biographie qu’elle publie en 1931, Émile Zola par sa fille. D’un esprit différent des instantanés de sa progéniture dans le jardin ou les allées de la propriété avant son exil à Londres (1898-1899), Zola réalise, à partir de son retour en France et jusqu’à sa mort en 1902, plus d’une centaine de portraits de Denise, entre ses neuf et treize ans, saisie en intérieur, immobile et concentrée.

Dans un tête-à-tête dépouillé, sans décor ni accessoire, Denise se confronte, en buste ou en gros plan, à l’objectif de ce père aimant qui la regarde sous tous les angles et dans tous ses atours. Il se fait l’interprète du visage d’une enfant qui grandit et qui adopte tour à tour des attitudes méditatives, impassibles et souvent graves. Une secrète et intense connivence lie les deux tristesses.
Avec la photographie s’instaure un dialogue silencieux entre deux tendresses.

du 3 février au 1er juin 2022

Cabinet de photographie

MUSEE D’ORSAY

Esplanade Valéry Giscard d’Estaing 75007 Paris