,

DOOMED AND FAMOUS

Selections from the Adrian Dannatt Collection“.

Adrian Dannatt a travaillé, de manière très occasionnelle, comme acteur, écrivain, conservateur, éditeur et artiste. Décrit par Guy Debord comme “ce héros journaliste”, il a également été qualifié de “irritating animated Brit twit” par Entertainment Weekly et, plus récemment de “l’une de ces merveilleuses figures à la Zelig” par Air Mail, . Il a longtemps vécu entre New York, Londres et Paris. Pour sa troisième exposition de ce type à la Galerie Pixi, après celles de New York et de Londres, et du lancement officiel en France du livre de Dannatt et de ses nécrologies sélectionnées, également intitulé “Doomed and Famous” (Sequence Press), il propose une sélection choisie parmi les œuvres d’art et les documents éphémères qu’il conserve soigneusement. Comme le livre lui-même, l’exposition est riche en excentricité, en bizarrerie et en obscurité, un méli-mélo éclectique reflétant un goût très personnel, sans oublier une réticence à dépenser trop d’argent. Certains des personnages dont les nécrologies apparaissent dans le livre ont d’ailleurs des œuvres dans l’exposition, comme Philippe Thomas ou James Metcalf.

Dannatt s’intéresse à ce qui détermine l’acceptable et le rejetable dans le monde de l’art “contemporain” qui s’autodiscipline et il aime jouer avec ces hiérarchies ; ainsi, on peut trouver une cascade de Charlotte Napoléon Bonaparte de 1833 à côté d’une seule ligne conceptuelle de Douglas Huebler de 1971. Des œuvres de la propre famille de Dannatt, que ce soit son père Trevor l’architecte moderniste, son oncle George l’artiste constructiviste, sa mère Joan la graveuse, ou son neveu Gabriel, parmi les plus jeunes artistes de l’exposition. Sans oublier une scène d’atelier parisienne de “notre cousin américain”, l’éminent William Dannat (1853-1929).

Des révolutionnaires, un tableau sauvage de Jacqueline de Jong datant des années 1960, et des réactionnaires, un dessin de 1820 représentant un chien de chasse par le duc d’Orléans. Des noms célèbres, Picasso, Paul Thek, James Lee Byars, Josef Simá, et des outsiders, des merveilles de brocanteurs et des pièces trouvées sur le trottoir. Il y aura de grandes œuvres, comme une installation lumineuse d’Adam Barker-Mill, et de toutes petites, comme une cuillère en argent de Claude Lalanne.

Des cinéastes, Tony Kaye, Alastair Paton, Michael Lindsay-Hogg à côté d’acteurs, Roger Blin, Edith Scob, un musicien Daniel Humair à côté d’une designer Julie Hamisky, des écrivains comme Luc Dietrich et Jonathan Meades à côté d’animateurs comme Caroline Leaf et Delphine Burrus. Certaines choses sont à vendre, à des prix allant de 60 000 euros à 10 centimes.

Vampirisme inversé” par Donatien Grau

Les objets assemblés dans la « collection » sont comme des fragments de ces rencontres, et donc un vampirisme au second degré. De son vampirisme, aux prises avec la vie, il extrait des objets, relations avec des artistes sur lesquels il écrira, trouvés lors de promenades avec des personnes qui seront aussi des sujets d’écriture, voire même objets de fascination pour d’autres – Patti Smith contemplant un portrait doublement familier … Cette image vampirique qu’Adrian entreprend de se donner est, aussi, un peu une illusion de dandy. On ne peut s’empêcher de penser à Baudelaire, autre dandy, qui voyait dans le temps « cet obscur ennemi qui nous ronge le cœur/ Et du sang que nous perdons croît et se fortifie ». C’est ainsi que Laurence Rickels a pu, parmi d’autres, développer une théorie vampirique de l’existence. Mais à examiner de près ce vampirisme, on se rend compte qu’il ne s’approche pas du tout d’Adrian – voire même qu’Adrian l’a en quelque sorte retourné, comme on retourne un vêtement, déjà usé par les vies, ainsi que ceux qu’il porte lui-même. (….) Le rapport à l’œuvre d’art est le même que celui à la personne ou au texte. L’homologie est absolue. Il n’y a pas de hiérarchie entre ce qui est considéré trivial, public, spectaculaire, et ce qui est plus secret, plus distingué ; la seule séparation est celle du goût, de la recherche d’un caractère ouvert, ce que signale l’anglais « special » plus que le français « particulier ». « Special » c’est ce qui est de l’espèce, et la manifeste dans son ampleur. L’espèce d’Adrian, c’est « la magnifique et lamentable famille des nerveux » que critique Cottard dans A la recherche du temps perdu et dont Yves Saint Laurent fait son identité, lors de son discours d’adieu. Mais cette espèce, chez Adrian, comme d’ailleurs chez Saint Laurent et chez Proust, dépasse son inquiétude pour atteindre une sorte de brillance de l’existence, qui fait que dans la boue il y a de l’or, et que l’or même ne brille que contre de la boue. (….)

(Donatien Grau est l’auteur de nombreux textes sur l’art, la littérature, et l’histoire des représentations (dont, récemment, La mémoire numismatique de l’Empire romain). Il est actuellement conseiller pour les programmes contemporains de la Présidence du musée du Louvre.)

du 3 Septembre au 5 novembre 2022

Galerie Pixi – Marie Victoire Poliakoff

95 rue de Seine 75006 Paris